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Argumentaire – Déshabiller Pierre pour habiller Paul

par Raphaël Ortis – Les musiciens et artistes indépendants de Genève

Jean Marc Jancovici est un ingénieur français, consultant et spécialiste de l’énergie et du climat. Il est connu pour son travail de sensibilisation et de vulgarisation. Il a fait l’exercice de calculer l’énergie développée par une paire de jambes et une paire de bras humain, donnant pour un foyer moyen, en termes de besoin énergétique pour faire fonctionner son électroménager, un équivalent esclaves d’environ 150 personnes. Payez ces employés ne serait-ce qu’au smic, je vous laisse faire le calcul.

Le coût de l’énergie n’apparait pas dans notre système économique car elle est extrêmement bon marcher. On ne saurait ainsi voir les raisons du changement climatique, car nous ne sommes pas conscients de ce que nous consommons. Depuis ce point de vue, nous ne cernons pas l’effort à fournir pour vivre autrement dans un environnement qui se dégrade sous nos yeux avec une inertie qui laisse à penser pour certains qu’il est déjà largement trop tard.

Quel rapport avec la culture ?

Essayez de faire exister graphiquement le montant des subventions allouées à l’OSR et au Grand Théâtre, et le montant des subventions allouées au fond ponctuel pour la création. Allez ! A la louche, 19 mio pour l’OSR, 60 mio pour le Grand Théâtre, 145 milles francs pour les musiques de création.

La musique de création c’est quoi ?

La musique improvisée, contemporaine, rock, rap, pop, slam, yodle, électronique, noïse, bref, toutes musiques qui ne soit pas du patrimoine ou des reprises. Par exemple, reprendre du ACDC ce n’est pas de la création, ce qui n’en fait bien évidemment pas moins par ailleurs un monument de l’histoire de la musique, à l’image de la messe en si ou de la 8ème de Mahler.
La musique de création n’existe pas dans notre système économique, les musiciens de création n’apparaissent pas dans notre budget de subventions pour la musique.
80mio / 145 milles francs …. Pour rappel.

Mais pourquoi finalement ?
Et c’est quoi être musicien de création ?

Les musiciens de création

Diplômés de HEM de Suisse ou d’ailleurs, ou pas. Nous nous produisons où les idées nous conduisent. Dans les salles existantes, les festivals, les clubs, les parcs, les friches, les squats, les musées, les centres d’arts, dans les tunnels désaffectés, les écoles, les EMS, les théâtres, les particuliers, les domaines viticoles, les fermes bio, le Victoria Hall… Ah non pas le Victoria
Hall. Mais pourquoi, elle sonne bien cette salle pourtant !? Oui elle sonne bien, extrêmement bien, un régal, mais à 8000 francs de location la soirée, ce n’est pas avec le fond ponctuel pour la création et nos quelques 5000 ou 10000 francs de subvention par projet que nous pourrions nous le permettre. Pas grave, il paraît qu’on y est mal assis.
Mais l’OSR ne bénéficie-t-il pas de locaux gracieusement mis à disposition ?
L’OSR oui, ma pote batteur, prix suisse de musique, elle, non, ni mon pote compositeur, prix suisse, ni Erika Stuki, prix suisse, ni …. Oui ok ils sont tous prix suisse et ils crèvent la dalle on a compris ! Non mais ça ne va pas trop mal ! Enfin… on est tout de même pas tout à fait au même tarif de base qu’un musicien titulaire à l’OSR (90’000 – 110’000 à l’année pour un musicien corde tutti, 100’000 – 120’000 pour un soliste 1ère catégorie). Le revenu moyen pour un musicien de création est de moins de 36000 CHf annuel.

On est combien ?

L’Orchestre de la Suisse Romande engage 112 musiciens permanents.
La Fédération des Musiques de Créations (FGMC) compte quelques 150 membres.

Réel/Invisible

On ne finance pas quelqu’un qui n’appartient pas à un bâtiment. Un bâtiment ça a une enveloppe, c’est réel, ça a un coût, des collaborateurs, des employés, une programmation, un répertoire, un patrimoine, une structure administrative, ça génère du travail et des emplois.

Oui, comme tous les artistes musiciens de la place. Lorsqu’on crée, on génère du profit. Un franc investi dans la création génère 7 francs en retour, plus de 10% des entreprises sont des entreprises culturelles.

Mais, finalement, la Cité de la Musique, si je comprends bien, c’est pas vraiment le
problème ?!

C’est pas totalement faux, à ça prêt que :

  • C’est un nième bâtiment, une enveloppe, avec des employés, des collaborateurs, une structure administrative.
  • C’est 13 mio de frais de fonctionnement, pour l’instant, de ce qu’on sait anticiper, au frais des citoyens genevois. En comparaison, le KKL de Lucerne coûte 14 mio à la collectivité par année et vient de demander une indemnité covid-19 de 15 mio, ce qui vient ajouter au ras le bol des citoyens lucernois quant au fait qu’ils n’ont pour la majorité pas accès à cette sale dont le prix d’entrée est hors d’atteinte.
  • Cela concerne 2 institutions musicales (OSR – HEM) sur les 160 connues à Genève.
  • On rase des arbres. Oui mais combien ? A force on ne sait plus…. Ça a commencé par 90, puis on arrive curieusement maintenant à 130. Ce qu’il faut retenir c’est qu’il faudrait, pour compenser cet abattage et le manque de capacité d’absorption de Co2 lié au nombre de feuilles et non pas au nombre d’arbres replantés, 8000 arbres replantés, selon une étude d’impact suisse récente.
  • Cela donne des nouvelles salles de cours aux enseignants et élèves de la HEM. Il faut dire que les actuelles, dans le quartiers des banques, sont un poil mal chauffées…

Conclusion

Et si on faisait apparaitre la biodiversité culturelle ?
Et si on faisait en sorte que les 2,5 mio promis par Thierry Apothéloz pour les frais de fonctionnement de la Cité de la Musique (il ne mettra rien pour le Grand Théâtre) soient investis dans les musiques de création, le terreau local, ce qui fait que, durant toute l’année, les propositions culturelles se diversifient jusque dans les plus petits interstices et les recoins du canton, ce qui fait que, entre autre, l’été 2020 a vu tout de même quelques propositions musicales se réaliser, à coup de propositions mobiles et flexibles qui ont pu continuer à donner du travail et du sens à des techniciens, des restaurateurs, des curateurs, autant que possible et à la hauteur des moyens que nous n’avons pas, souvent de manière ultra bénévole.
Bon mais bref, on pourrait continuer pendant des heures.
Ce que je veux dire, pour en revenir au slogan de cette belle allocution bisounours, c’est que :

« Bruno, tu as raison, on ne déshabille pas Pierre pour habiller Paul. On était déjà en slip, ta
cité nous mettra à poil, alors pourquoi s’emmerder, on n’existait pas avant, on n’existera
pas mieux après ».

Raphaël Ortis – Les musiciens et artistes indépendants de Genève