Impression

Argumentaire – Déplacer le curseur patrimonial

par Leila el-Wakil – SOS Patrimoine – CEG – présenté à la conférence de presse du 27 octobre

Déplacer le curseur patrimonial : le domaine Les Feuillantines est EXCEPTIONNEL

On s’est beaucoup battu pour savoir si la demeure des Feuillantines était intéressante ou exceptionnelle. Or, dans une conjoncture générale qui revoit à la baisse les valeurs patrimoniales sur des critères plus que discutables et pour réaliser des opérations immobilières de bourrage du territoire, SOS Patrimoine CEG se bat depuis quatre ans pour déplacer le curseur patrimonial et redonner aux anciens domaines genevois la valeur qu’ils méritent, la valeur qu’ils n’auraient jamais dû perdre, la valeur EXCEPTIONNELLE.

Créé à la fin du XIXe siècle par la famille Duval, puis cédé à la famille d’Auguste de Morsier-Claparède, le domaine des Feuillantines, tel qu’il nous est parvenu aujourd’hui constitue un ensemble architectural et paysager pratiquement intact. L’ancienne maison de maître, conçue par Gustave Brocher (1850-1831), un architecte de première importance dont le talent s’est exercé jusqu’au Caire où il a participé à la réalisation d’un des plus grands ensembles immobiliers résidentiels du début du XXe siècle, celui des immeubles khédiviaux, est au cœur de ce domaine, mais n’en constitue qu’un des éléments qui fait ensemble avec la loge du gardien, située sur la route de Frontenex, les murs d’enceinte qui délimitent la propriété et les portails qui y donnent accès, le grand parc arboré enfin qui constitue près de 140 ans plus tard une réserve végétale et de biodiversité dont Genève a tant besoin en ces temps de changement climatique et de pandémie. C’est la totalité de cette entité domaniale qui possède un caractère EXCEPTIONNEL.

Une histoire exceptionnelle et un salon de musique

A méconnaître l’histoire on passe à côté de l’essentiel. Et c’est malheureusement ce qu’il est advenu aux promoteurs pourtant cultivés du projet de la Cité de la Musique si pressés d’effacer l’histoire genevoise au profit de leur propre projet.
L’ingénieur Auguste de Morsier-Claparède (1864-1923), l’inventeur du domaine Les Feuillantines en souvenir de Victor Hugo qui vécut dans l’impasse éponyme à Paris entre 1809 et 1813 fut le premier président de l’Association pour le suffrage féminin en Suisse. Cédée à l’ONU en 1937 la maison abritera dès lors divers directeurs et hauts fonctionnaires des organisations internationales, dont le prix Nobel d’économie suédois Gunnar Myrdal, qui y résida en tant que premier Secrétaire exécutif de la Commission Economique Européenne (CEE) de 1947 à 1952. Cette demeure fut ensuite successivement la résidence d’un
Secrétaire général du GATT et de 3 Directeurs généraux de l’ONU jusqu’à ce que des motifs invoqués de sécurité et de confort les en chassent.

Ce que l’on sait moins c’est que l’enfilade du grand salon (37 m2) et du petit salon furent le théâtre d’après-midi et de soirées musicales organisées par M. et Mme Wyndham-White, grands amateurs de musique de chambre, et auxquelles participaient de hauts fonctionnaires internationaux et des membres des familles patriciennes genevoises. Ces concerts furent donnés sous les auspices du Cercle international des Amis de la Musique (CIAM), placé sous la présidence de Mme Colette de Veyrac (1907-1992). On en tient une liste qui n’est pas exhaustive :
Dimanche 25 Novembre 1951, Musiciens de l’OSR, “chorals” de Bach, “trio” de Haydn, “quatuor en fa majeur” de Mozart.
Dimanche 21 mars 1954 Mme Anne-Marie Dubouloz-Lander, pianiste et quelques chefs de pupitre de l’OSR, “Quatuor en mi bémol majeur” de Mozart, “Quintette de la truite” de Schubert.
Dimanche 4 décembre 1955, Ensemble de musique de chambre Arva, composé de membres de l’OSR, “suite pour cordes” de Purcell, “quintette op. 15 en ré” de Brahms, trio de Boccherini.
Dimanche 18 décembre 1956, Quatuor Petrovic, “Quatuor en ré majeur” de Haydn, “Quatuor n° 3 en la majeur de Schumann.
Dimanche 24 novembre 1957, “œuvre pour quintette à cordes et deux cors” de Haydn, “un divertissement pour cordes” de Mozart, “un sextuor pour deux violons, alto, violoncelles et deux cors” de Beethoven, et “deux pages” de Purcell.
Samedi 10 mai 1958, Récitals d’Evelyn Rothwell (Lady Barbirolli), hauboïste, et de la soprano Fanni Jones, accompagnées au piano par Jacques Horneffer.
Samedi 31 octobre 1959, Alfa Novella Schrinzi, harpiste, “danse sacrée et danse profane” de Debussy, avec l’accompagnement d’un quatuor et le Quatuor Petrovic, une œuvre de Philippe-Emmanuel Bach et le “Quatuor en mi” de Paganini.
De toute évidence la demeure des Feuillantines avait toute sa place dans un projet pour une Cité de la Musique.

Non à la détestable politique du fait accompli

Une fois encore on a tenté de mettre les Genevois devant la politique du fait accompli. Le projet a été monté en douce par des élites, un concours d’architecture a été lancé, puis gagné, l’annonce du résultat du concours fut l’occasion d’apprendre publiquement l’existence du projet de Cité de la Musique. Mais aucune évaluation du domaine existant, qu’on ne connaissait pas, n’avait été faite en amont. Le domaine Les Feuillantines avait été considéré comme un vulgaire terrain à bâtir, CE QU’IL N’EST PAS.

C’est à remonter ce courant-là que nous nous efforçons depuis près de trois ans pour préserver un EXCEPTIONNEL domaine situé en Ville de Genève.